Être consultant indépendant en France : le cœur et la raison

Alors que le nombre de freelances ne cesse de progresser en France (selon Forbes on compte plus de 900 000 freelances aujourd’hui, contre 700 000 en 2013 et au total une croissance de +145% sur une décennie), on peut légitimement s’interroger sur les motivations réelles des indépendants dans un pays où le CDI reste un totem.

Au moins 100 000 consultants indépendants en France

Commençons par y voir un peu plus clair sur les indépendants et les freelances en France. Premier constat, au sens de l’INSEE, il y a près de 3,5 millions d’indépendants en France, à titre principal ou en complément d’une activité salariée. Tous les indépendants ne sont donc pas des freelances, et tous les freelances ne sont pas des consultants indépendants. Le détail de l’étude de l’INSEE permet d’identifier environ 300 000 consultants indépendants, 200 000 dans la catégorie « Expertise et Conseil » des professions libérales et 100 000 au titre du « Conseil en gestion ». Parmi eux, plus de la moitié est des microentrepreneurs et 15% sont « pluriactifs », on peut donc estimer qu’il y a 100 000 consultants indépendants à titre principal en France. Chiffre auquel il faut rajouter les consultants indépendants ayant choisi de rester dans le régime général des salariés, notamment ceux en portage salarial et les dirigeants salariés de leur propre structure. Ce qui représente sans doute autour de 15% des freelances en France. Voyons maintenant pourquoi ces consultants ont fait le choix d’être indépendants.

Être consultant indépendant est d’abord une histoire de cœur…

Pourquoi plus de 100 000 consultants ont fait le choix d’exercer leur métier en tant qu’indépendants plutôt que comme salariés ? Rappelons que la branche du Syntec emploie près de 900 000 personnes en France, dont 20% (180 000 salariés) sur les activités de conseil. Les indépendants représentent donc une part non négligeable des consultants français, sans doute comprise entre 20 et 30%.

Si nous ne disposons pas à ma connaissance d’étude d’envergure pour répondre à cette question, il y a néanmoins de nombreux indices qui montrent que cela est d’abord un choix de cœur, qui touche à l’engagement professionnel et à la liberté de travailler et d’entreprendre.

Premier exemple, l’étude réalisée en 2019 par Malt : 90% des personnes interrogées ont adopté ce mode de travail par choix et non sous la contrainte, 89% des freelances ont déjà été salariés d’au moins une entreprise et 88% ne veulent plus redevenir salariés à temps plein. Sur les raisons avancées pour justifier leur choix : en premier lieu l’autonomie pour 88% des freelances interrogés, suivi de la liberté d’organiser son emploi comme ils le souhaitent pour 81%. Ce sont ensuite la possibilité de choisir leurs clients et projets pour 57% et de choisir leur lieu de travail (37%). Il n’est en fait ici question que de la volonté de choisir et d’être libre. Malt ne s’y est pas trompé en adoptant en 2020 un nouveau slogan  » Choice. The new work order « .

Deuxième exemple tiré d’une étude intitulée « How do freelancers describe themselves in Online Labor Markets : A textual analysis of profile descriptions » et qui analyse les textes de présentation de plus de 1 000 freelances sur la plateforme américaine Upwork. L’auteur analyse notamment les éléments personnels mis en avant par les freelances sur leur profil et montre la prépondérance des termes relatifs à « Love », « Passion » et « Pride ».

À l’envie de liberté s’est ajoutée l’envie d’entreprendre. À ce titre devenir indépendant est sans doute la forme la plus simple de l’entrepreneuriat. Les tendances du freelancing et de l’entrepreneuriat sont d’ailleurs extrêmement liées et sont l’expression d’une seule et même tendance de fond.

Mais c’est également un choix très raisonnable

Si le cœur a évidemment ses raisons que la raison ignore, quelques considérations empiriques montrent que le choix de devenir consultant indépendant peut également être tout à fait raisonnable, voire un excellent calcul. Commençons par une analogie avec deux autres familles de consultants (même s’ils récusent peut-être ce terme) : les avocats et les médecins. En France, l’exercice de ces professions reste largement libéral, même si le salariat se développe sans doute un peu. Sans revenir sur l’historique de la construction de ces professions, on peut penser que si le cadre de l’exercice libéral s’est à ce point développé dans ces deux domaines, c’est que les professionnels concernés y trouvaient leur compte. Haute valeur ajoutée, intuitu personae important, problèmes complexes : le contexte libéral se prête parfaitement bien à ce type d’activité, y compris d’un point de vue économique. Les avocats et les médecins gagnent bien leur vie car leurs compétences sont rares et pointues et qu’ils en maîtrisent leur valeur ajoutée, à la fois au niveau du travail et du capital. D’ailleurs tout consultant (ou avocat) salarié, pour peu qu’il se projette dans l’activité, ne rêve-t-il pas de passer associé ?

On pourra rétorquer que le consultant salarié a pour lui la sécurité de l’emploi. Dans la France d’aujourd’hui, et encore plus spécialement eu égard au turn-over (subi ou provoqué) des cabinets de conseil, qu’il soit permis de douter de la valeur d’une éventuelle sécurité de l’emploi au sens de conserver dans la durée son CDI. Je peux également vous renvoyer à des considérations plus philosophiques de comparaisons entre l’artisan (au sens l’indépendant) et le salarié dans les deux livres de Nassim Nicholas Taleb dans Jouer sa peau et Antifragile sur la prise de risque réelle des deux statuts. Quand on évoque la sécurité de l’emploi, il est donc surtout question de bénéficier de l’assurance chômage. Sur ce point, outre les réformes qui devraient dans l’avenir faciliter l’accès à l’assurance chômage aux indépendants, rappelons qu’il existe des solutions comme le portage salarial pour exercer une activité de consultant indépendant dans le régime général. Il est également possible d’être dirigeant salarié de sa structure avec des assurances chômages spécifiques. Dernier point : pas d’accès à l’assurance chômage veut aussi dire qu’on ne paie pas de cotisations associées (on parle d’environ 6% du salaire chargé pour un salarié), l’indépendant récupérant finalement immédiatement de l’argent (par absence de cotisation), charge à lui d’anticiper un éventuel risque à ce sujet.

Certes la crise sanitaire que nous vivons vient tempérer cette analyse, les indépendants n’ayant dans bien des cas pas pu bénéficier des montagnes d’aides mises en place pour les salariés et ils ont pu subir des pertes d’activité importantes (voir l’article de Madyness sur ce sujet). Mais si les conséquences à court terme sont indéniables, cela ne devrait avoir que des conséquences limitées à moyen terme. Quant aux salariés, tout le monde s’accorde à dire que les conséquences de la crise sanitaire n’ont pas encore été tirées et que nombre de plans sociaux et licenciements vont être annoncés dans les mois qui viennent.

Et il ne s’agit pas uniquement de considérations financières. Sur l’axe du développement professionnel, les indépendants ont également une longueur d’avance. Les indépendants réalisent des efforts importants dans la formation continue : la maîtrise de leur agenda leur permet de consacrer près de 10% de leur temps à la formation selon une étude de Malt alors seuls 36% des Français ont suivi une formation en 2016 pour une durée moyenne de 46 heures. Les indépendants doivent également adapter en permanence leurs compétences à l’exigence du marché. De fait ils privilégient donc des boucles d’adaptation courtes et fréquentes. À l’opposé un salarié peut rester dans la même position pendant plusieurs années, ce qui dans le pire des cas peut l’amener à être confronté à un besoin brutal d’évolution, voire à une obligation de reconversion professionnelle.

Finalement être indépendant, c’est faire le choix d’une modalité professionnelle particulièrement adaptée au conseil et plus largement aux transformations du travail et de l’économie. Et surtout faire preuve de qualités individuelles et des traits de personnalité particulièrement prisés par les entreprises, à l’image de la « Rare Responsible Person » mise en avant par Reed Smith, fondateur de Netflix, dans sa célèbre présentation de la culture RH de Netflix :

« The Rare Responsible Person : Self Motivating, Self Aware, Self Disciplined, Self Improving, Doesn’t wait to be told what to do”

Reed Smith, Netflix

Une citation qui montre que l’opposition historique entre l’indépendant et le salarié mérite sans doute d’être dépassée.

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