Réussir son projet de consultant indépendant : êtes-vous plutôt Solopreneur ou Boutique ?

Cela fait maintenant plus de 10 ans que je suis indépendant, dont près de 7 ans passés comme consultant en finance d’entreprise (DAF à temps partagé, conseil auprès de dirigeants dans le cadre de levée de fonds). J’ai par ailleurs passé ces derniers mois à parcourir une partie de la littérature consacrée à ce vaste sujet, mais aussi à échanger avec des consultants, indépendants ou salariés de cabinets. Le moment est venu de partager avec vous quelques réflexions au sujet du développement d’une pratique durable de conseil indépendant.

Réussir en tant que consultant indépendant pour installer son activité dans la durée

Avant de développer plus en détail les deux modèles de développement identifiés, revenons en quelques lignes sur la notion de réussite de son projet. Comme je l’expliquais dans un ancien article, être consultant indépendant est à mon sens d’abord une histoire de cœur, ce qui signifie donc que la réussite de cette pratique dépend de ce que l’on veut y mettre. Il s’agit en grande partie d’aligner sa pratique de conseil avec ses aspirations personnelles et professionnelles ou de concrétiser son Ikigai. Une définition toute relativiste donc… Mais je me lance quand même dans une proposition de définition de la réussite qui pourrait cerner les aspirations de la majorité des consultants indépendants que je côtoie : réussir son projet de consultant indépendant c’est amener sa pratique au niveau qu’elle mérite sous une forme qui soit soutenable dans le temps (autrement dit une forme durable). Si je laisse le soin à chacun de déterminer son référentiel de mérite dans sa pratique, la seconde partie de la définition concerne à mon sens l’essence même de la pratique indépendante du conseil : être là dans la durée, pour grandir et faire grandir, et pas simplement pour faire des « ménages » ou des « piges » en attendant mieux. C’est là qu’intervient la notion de durabilité de la pratique, avec deux critères incontournables : les ressources engagées (à commencer par le capital humain) et les revenus générés. Il va de soi que des pratiques qui épuisent le capital humain (à commencer par le consultant lui-même) ou qui génèrent trop peu de revenus sont par construction intenables sur la durée, et vouent donc à l’échec un vrai projet de conseil indépendant. Cette réflexion m’a amené à rechercher les types de développement durables pour ce type d’activité et j’en suis arrivé à la conclusion que deux modèles étaient particulièrement intéressants pour le conseil indépendant : le Solopreneur et la Boutique de Conseil.

Solopreneur : la noblesse de l’artisanat

Dans l’univers Tech / Start-Up, on dit bien souvent que se lancer en tant que freelance est la forme la plus pure et la plus simple de l’entrepreneuriat. Je n’utilise pour ma part pas le terme freelance qui se réfère bien souvent à des travailleurs indépendants ou autoentrepreneurs dans le domaine de l’IT et du digital au sens large et lui préfère la notion de consultant indépendant. Mais l’idée reste la même : faire de sa pratique professionnelle sa propre entreprise, de son nom une marque professionnelle reconnue (personal branding).

Ne réduisons cependant pas la pratique du Solopreneur à une simple modalité professionnelle parfois très opportuniste comme c’est souvent le cas chez le freelance ou l’autoentrepreneur. Je vois pour ma part dans le Solopreneur un artisan du conseil dans ce que cela a de plus noble (par opposition au conseil industrialisé des cabinets mainstream) et reprends mot pour mot ce passage écrit par Nassim Nicholas Taleb dans son livre Jouer sa peau (Skin in the game) où il explique que « les artisans mettent leur âme en jeu :

  • Les artisans font les choses d’abord pour des raisons existentielles, et ensuite pour des raisons commerciales. Leurs décisions ne sont jamais motivées uniquement par l’aspect financier, même si leur motivation reste financière.
  • Leur profession comporte une certaine forme d’art, ils se tiennent à distance de la plupart des aspects de l’industrialisation, ils associent art et affaires.
  • Ils mettent une certaine force d’âme dans leur travail, ils ne vendraient pas une chose défectueuse ni même de qualité discutable, parce que leur fierté en serait blessée.
  • Enfin, ils ont des tabous sacrés, des choses qu’ils ne feraient pas même si cela leur permettait d’améliorer sensiblement leur rentabilité. »

Outre l’aspect de l’accomplissement professionnel et personnel évoqué ci-dessus (et au combien important à mes yeux), l’intérêt de ce modèle tient en deux points : des coûts de structure très réduits (pour ne pas dire inexistant) et une grande liberté d’organisation (au bémol près que si l’on a plus de patrons, on a quand même des clients). C’est ce qui le rend durable sur les deux aspects qui nous intéresse :

  • Il suffit de quelques clients pour générer des revenus suffisants au maintien d’une activité dans la durée
  • La flexibilité de l’organisation personnelle permet de préserver un rythme de travail acceptable dans la durée tout en consacrant une partie de son temps à l’amélioration continue de son expertise (source à la fois de différenciation / compétitivité sur le marché et d’accomplissement professionnel)

A contrario, vous savez que votre activité de Solopreneur n’est pas durable quand le maintien d’un revenu décent dépend en partie de subvention du type cumul indemnités chômage et facturation d’honoraires de conseil dans une structure nouvellement créée (comme l’on le voit souvent sur le marché) ou quand vous êtes obligés de travailler jusqu’à épuisement pour sortir un niveau de revenu à peine soutenable et/ou de livrables médiocres.

Ma principale source d’inspiration en la matière (et mon premier conseil de lecture pour ceux que cela intéresse) est l’auteur américain Alan Weiss et en particulier The Consulting Bible et Value-Based Fees. Il s’agit certes d’une conception très américaine de la pratique (mais en même temps le marché américain du conseil est bien plus développé que son petit frère français) mais cela a le mérite de poser les sujets pour les consultants indépendants qui veulent créer des pratiques professionnelles de haute tenue et durables.

Boutique de Conseil : passer le mur de l’indifférence

Autre manière de se développer pour les consultants indépendants qui cherchent à embarquer une équipe autour d’eux et à « scaler » leur activité : le développement d’une boutique de conseil. Il ne suffit plus alors seulement d’être expert, encore faut-il se sentir l’âme d’un manager. Car pour créer une Boutique de Conseil la taille compte, et pas seulement pour une question d’ego des associés comme on pourrait le suggérer cyniquement, mais d’abord parce que l’analyse du marché et les entretiens que j’ai pu mener montrent qu’une Boutique de Conseil doit atteindre une taille critique pour être durable. La question essentielle de ce type de développement est donc avant tout de savoir quelle taille atteindre.

Je m’appuie dans la suite du raisonnement sur les chiffres du Syntec Conseil et ceux fournis dans l’étude Xerfi « Le Conseil en Management » publiée en novembre 2019. Dans les principales tendances identifiées, les analystes de Xerfi écrivent :

Le Conseil en Management est un marché à 2 vitesses où les grands acteurs côtoient une multitude de petits opérateurs indépendants qui peinent à être visibles.

Etude Xerfi sur le CONSEIL en management, novembre 2019

Pour appuyer leur propos, retenons que d’après le Syntec Conseil les sociétés de conseil réalisant moins de 3 M€ de CA représentent 45% des acteurs du conseil pour seulement 2% du CA du secteur. Le segment suivant, les acteurs réalisant entre 3 et 20 M€ de CA, représente quant à eux 35% des acteurs pour 14% du CA du secteur. Ma conclusion personnelle à la lecture de ces chiffres : votre Boutique de Conseil doit faire plus de 3 M€ de CA si elle veut passer le mur de l’indifférence sur le marché (par indifférence je n’entends pas la faible valeur attribuée par vos clients à vos prestations mais bien la très faible visibilité de votre pratique sur le marché et donc auprès des prospects). Si l’on considère que le ratio moyen de CA/Salarié du panel de l’étude Xerfi est de 177 K€ par an (soit 16 K€ de CA par mois sur 11 mois), cela correspond à une structure d’une quinzaine de salariés, ce qui est encore une fois cohérent avec les discussions que j’ai pu avoir avec des professionnels du secteur.

Une fois ce constat posé, votre plan de développement d’une Boutique de Conseil doit donc intégrer une forte dimension commerciale qui ne résume pas (comme le fait le Solopreneur) à attirer une poignée de nouveaux clients par an sur simple mise en relation. Votre plan doit impérativement intégrer des efforts marketing conséquents (et donc dépenses), tout en recrutant rapidement pour atteindre la taille critique. Ce qui demande au final des moyens financiers importants (mais pas inaccessibles), avec à la clé un élément de création de valeur dont ne disposera pas le Solopreneur (tributaire de ses seules heures) : la création d’une véritable entreprise et d’un fonds de commerce, bien souvent valorisé en multiple du CA.

Au contraire, si vous pensez développer votre Boutique en ne comptant que sur le bouche-à-oreille des clients ravis et en réfutant toute forme de marketing, vous finirez sans doute soit avec une bataille rangée d’associés qui se sont épuisés au travail (ou son corollaire avec un turn-over important parmi les consultants seniors et jeunes associés), soit racheté par un autre cabinet, et plus sûrement encore avec les deux en même temps (je l’ai moi-même vécu de près il y a quelques années).

Pourquoi il faut éviter le piège de l’entre-deux ou le risque du « Stuck in the Middle »

Certains auront sans doute reconnu l’emprunt à la pensée stratégique de Michael Porter, il illustre le danger en stratégie de se retrouver entre deux modèles qui fonctionnent, autrement appelé l’enlisement dans la voie médiane. Concrètement que se passe-t-il lorsque vous vous lancez dans un projet où vous n’êtes plus seul(e) mais pas non plus quinze ? Et bien l’activité commerciale repose sur un ou deux associés qui doivent en permanence assurer une facturation qui puisse couvrir les salaires de 5 ou 10 personnes, ce qui est intenable à la longue, les journées n’ayant que 24 heures, même si vous en venez à facturer 150% de votre temps. Rappelez-vous que le secret du Solopreneur est de voyager léger en termes de coûts fixes et que celui de la Boutique de Conseil est d’avoir créé une marque et une pratique reconnue. Bref, votre souhait de réalisation en tant que consultant indépendant risque de se transformer en cauchemar, avec soit des dettes soit de l’épuisement (et souvent les deux) à la clé. Si vous êtes dans cette situation, vous devez prendre une décision pour revenir à l’un des deux modèles gagnants, en fonction de vos convictions professionnelles et personnelles. Si vous êtes 5, pour quoi ne pas revenir à une pratique de Solopreneur travaillant en étroite collaboration avec d’autres consultants indépendants ? Et si vous êtes 10, ne faut-il tout simplement pas accélérer le développement ? Évidemment la taille d’équipe n’est pas figée, je suis sûr que certaines petites équipes s’en sortent très bien d’un point de vue financier : mais chacun y trouve-t-il son compte ?

Pour conclure, vous aurez compris que si je crois à ces deux modèles de développement, je ne tire à titre personnel aucune hiérarchie et aucune préférence entre les deux. Ces modèles correspondent à des aspirations et à des ambitions très différentes qui nous renvoient à des questions plus fondamentales comme le choix d’un développement professionnel en tant qu’Expert ou que Manager. On a longtemps considéré que le Graal était de gérer des équipes toujours plus importantes mais si l’on regarde aujourd’hui les pratiques de développement RH les plus à la pointe, on note l’importance de laisser les Experts devenir encore plus Experts si tel est leur choix plutôt que de les mettre en difficulté dans une posture managériale. Au final seul notre ambition et nos envies profondes comptent vraiment sur la durée. C’est pour cela que je travaille aujourd’hui au développement de solutions et de produits pour aider aussi bien les Solopreneurs et les Associés de Boutiques de Conseil à développer leur pratique, en respectant les convictions et les positionnements propres à ces deux modèles.

PS : si vous êtes consultant indépendant et que vous souhaitez poursuivre la discussion j’ai une question pour vous : quel est votre problème n° 1 dans votre pratique en ce moment ? Répondez-moi en MP – je lis personnellement toutes les réponses.

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