IA et Conseil : entre menaces et opportunités, que faire en tant que consultant ?

Le 30 mars dernier j’ai eu l’occasion d’assister à la conférence « Intelligence Artificielle, du mythe à la réalité, quelles perspectives pour nos métiers d’indépendants ? » organisée par HEC Alumni et animée par Hamza Didaraly (Essec, Insead), président d’un fonds d’investissement accompagnant les start-up, conférencier sur l’intelligence artificielle (IA) et créateur de la plateforme digitale de vulgarisation IApourTous.com. L’occasion de revenir sur un sujet passionnant qui annonce évidemment de grandes transformations pour les métiers du conseil mais qui reste aussi un peu déceptif par rapport aux attentes et au bruit marketing engendré : pour l’instant on conviendra que c’est encore relativement calme du côté du conseil et que finalement peu de choses sont sorties du stade de PoC (Proof of Concept) … et encore ! En prenant un peu de recul, on a l’impression que l’IA est sur toutes les lèvres mais que la traditionnelle combinaison Excel + Powerpoint tourne toujours à plein.

Consultant, radiologue, même combat ?

Hamza Didaraly a commencé son intervention avec des résultats édifiants d’un sondage effectué en 2018 en France :

  • 94% des personnes interrogées disent connaître l’IA
  • 46% veulent aller plus loin dans la recherche
  • 46% préfèrent stopper là
  • 8% veulent retourner en arrière
  • 68% des 18-24 ont peur que l’IA prennent leur emploi

Ce sont cette méconnaissance de l’IA et la méfiance qu’elle engendre qui l’ont amené à créer sa plateforme IApourTous.com. On retiendra de notre côté que la plus grande menace perçue aujourd’hui est de perdre son emploi à cause de l’IA. Y compris pour un consultant.

En bon élève détenteur d’un BAC+5, le consultant s’est longtemps pensé à l’abri : si un comptable pouvait sans doute voir son emploi disparaître à cause de l’IA, ce n’était pas envisageable pour un consultant parisien formé dans une grande école ! Sauf que l’histoire du radiologue est depuis passée par là : 11 à 12 ans d’étude pour l’une des spécialités les plus rémunératrices de la médecine, le radiologue serait pourtant sur le point d’être remplacé par une vulgaire IA. Et là le consultant (en moyenne 6 ans d’études de moins qu’un radiologue donc) se met à gamberger. Bien sûr les choses sont en réalité plus complexes que les effets d’annonce, comme le souligne très justement un interne en radiologie (pour filer la métaphore) dans cet article avec notamment la reprise d’une citation marquante :

L’IA ne remplacera pas les radiologues, mais les radiologues qui utilisent l’IA remplaceront les radiologues qui ne l’utilisent pas.

Curtis Langlotz, Radiologue de Standford

Mais le sentiment d’une menace indicible que ferait peser l’IA sur le conseil traditionnel reste bien présent. Menace doublée d’une opportunité, car comme tout sujet à la fois complexe et à la mode, l’IA est aussi un formidable terrain de jeu marketing et commercial auprès des clients et investisseurs. Quitte à tomber dans la caricature : une étude du fonds MMC Ventures réalisée en 2019 montrait que 40 % des start-up européennes se réclamant de l’IA n’utilisaient en fait pas de technologie d’intelligence artificielle. Nous avons tous en tête de simples formules de pondération qui deviennent dans la bouche de certains « des algorithmes propriétaires basés sur de l’IA ». Du coup de quel côté risque de pencher la balance ?

Devenir un spécialiste en IA, seule échappatoire ?

L’IA est effectivement une thématique porteuse pour une partie des acteurs du conseil, comme le montrent les initiatives des grands cabinets en la matière, McKinsey Digital et BCG Gamma en tête. Mais sur le terrain les choses ne sont pas si simples, comme le souligne Consultor dans son excellent article sur la difficulté pour ces acteurs d’intégrer des data scientists dans leurs équipes. La bonne nouvelle pour les cabinets de conseil réside néanmoins dans le fait que leurs clients ont l’air encore plus perdus qu’eux. Hamza Didaraly le souligne dans sa conférence, le consulting a un rôle important à jouer auprès des entreprises pour s’attaquer aux défis posés par l’IA : besoin de créer la confiance, répondre à l’incompréhension, gérer l’accélération et accompagner l’évolution des organisations. De quoi s’occuper pendant quelque temps !

Reste que devenir un spécialiste n’est pas à la portée de tous, pour des raisons à la fois techniques et économiques. Il est en effet une loi d’airain qui semble présider au développement de l’IA : plus que la qualité du code ou de l’habileté de ceux qui la développent, c’est visiblement la taille des jeux de données d’entraînement (data set) qui conditionnent son efficacité. Ce qui signifie qu’il y a une forte prime à la taille : les acteurs qui dominent l’IA sont d’ailleurs les GAFAM (et leurs homologues chinois) … soit justement les organisations ayant accumulé le plus de données au niveau mondial. Transposons ce raisonnement au monde du conseil en constatant que si même les grands cabinets ont du mal à maîtriser et à financer des compétences pointues en data science, la ceinture noire d’IA n’est visiblement pas à la portée de tous.

L’IA est surtout une formidable opportunité pour le consultant augmenté

Finalement revenons à la citation de Curtis Langlotz sur les radiologues et prenons l’IA pour ce qu’elle est : un formidable outil. La question ne va donc pas être de savoir si vous allez être remplacé par l’IA mais comment vous allez devoir intégrer de l’IA dans votre activité. Ce raisonnement appliqué aux métiers du conseil, cela donne des perspectives assez enthousiasmantes, notamment pour les plus acteurs les plus pointus : il est envisageable de voir arriver à court terme des assemblages de services d’IA faibles et d’algorithmes distribués sous forme de SaaS gérés par 1 consultant expert pouvant venir concurrencer une équipe traditionnelle plus étoffée constituée d’un associé, un manager, 2 consultants senior ou junior. Jouant à la fois sur des leviers de productivité et d’expertise de niche, une nouvelle voie intéressante s’ouvre pour les consultants indépendants et les boutiques de conseil. A contrario, ceux qui poursuivront leur activité avec les méthodes traditionnelles (et les coûts associés) ont de grande chance de se retrouver hors marché, à la fois d’un point de vue économique mais également d’un point de vue de faisabilité technique des missions : les problématiques des clients intégrant toujours plus de données à analyser, il ne sera tout simplement plus possible d’avancer avec des paires de main, fussent-elles nombreuses (ce qui a été pendant longtemps l’avantage décisif des « BIG »).

Reprenant la rhétorique classique de l’évolution homme/machine, on peut donc parier sur l’avènement à court terme du consultant augmenté, non pas développeur de ses propres IA, mais plutôt fin assembleur (voire bricoleur) de services et logiciels alimentés par des IA. C’est tout le sens de ce qui se passe en ce moment sur le marché des logiciels, avec les révolutions successives du SaaS, des API et maintenant du NoCode. Après la consummérisation de l’IT, très orientée productivité personnelle, vient la consummérisation de l’IA.

Ce que l’on peut faire dès aujourd’hui pour rester dans la course

Reste maintenant à définir comment chacun peut à son échelle se préparer à l’arrivée de tous ces nouveaux outils, au fur et à mesure qu’ils deviendront réellement accessibles sur le marché. À moins que vous ne soyez déjà fortement engagé dans cette voie, il est fort peu probable que vous ayez besoin de reprendre des études de data scientist pour profiter de l’IA. En revanche vous pouvez développer des compétences utiles quel que soit votre champ d’expertise :

Cultiver un vernis technique et une veille produit de bon niveau : Le moyen de bénéficier assez facilement des innovations liées à l’IA est de faire appel à « l’IA sur étagère » autrement dit les API et logiciels SaaS utilisant des IA. Cet assemblage intelligent de services unitaires facilement accessibles n’est pas propre à l’IA, c’est aujourd’hui la manière de travailler qui se diffuse dans tout l’IT, avec l’usage massif des API et à la marge du No-Code. Encore faut-il de savoir de quoi l’on parle et où trouver les outils intéressants. Heureusement il existe de nombreuses ressources accessibles en quelques clics. Sur la partie théorique, en complément de sa plateforme IApourTous.com, Hamza Didaraly cite de nombreux exemples de MOOC (Coursera, EdX, France Université Numérique, MyMOOC, Udacity, Udemy). Sur la partie produits, beaucoup de tutoriels, livres blancs, guides sont publiés par les éditeurs de logiciels. Il est important de rester connecter au marché, et c’est d’ailleurs dans ce sens que j’ai créé le blog Consultinghacks et que je viens de lancer la plateforme Smartlicense (work in progess).

Intégrer dès maintenant et régulièrement les nouveaux outils : Avoir identifié des solutions pleines de promesse c’est bien, mais puisqu’on parle justement d’outils, seul l’usage fait foi. Une seule solution, commencer à utiliser dès maintenant ces outils, même si c’est au départ moins confortable et moins efficace que de faire « comme d’habitude ». On ne parle ni plus ni de moins que de gestion du changement, et effectivement c’est toujours un effort, mais il vaut mieux s’y mettre maintenant plutôt que d’empiler des « dettes techniques » faute de mouvement, dettes qui rendront toujours plus coûteux le mouvement ultérieur vers ces nouveaux modes de travail. Il existe des nombreux prestataires qui accompagnent de structures plus ou moins grandes sur ces nouveaux sujets, et les éditeurs investissement également énormément dans le « Customer Success » pour vous aider à utiliser leurs solutions au quotidien. Pour compléter la démonstration, je me souviens d’une anecdote concernant CapGemini sur le développement du recours à la prestation interne dans les centres indiens. Une règle a alors été imposée : pour chaque nouveau projet signé, l’équipe devait intégrer une part minimale de la production (30% ?) en Inde. Même si au départ cela fonctionnait moins bien (problème de qualité d’exécution, barrières culturelles et linguistiques…) qu’en faisant comme d’habitude. Mais c’est à ce prix que l’organisation a pu évoluer et rester compétitive, sur un marché de plus en plus concurrentiel. De la même manière, je vous propose à partir de maintenant de vous obliger à intégrer dans chaque projet, chaque mission, une dimension outil (utilisation de bases de données structurées, d’IA sur étagère, d’outils No-Code ou de nouvelles api…) qui intègre de nouvelles méthodes de travail et de production. C’est à ce prix que viendra l’acculturation technique nécessaire. Aujourd’hui certains de ces outils peuvent vous sembler un peu gadget, mais prenez en compte l’accélération massive de la productivité et de la qualité ces outils et projetez-vous face au coût de l’inaction.

Capitaliser sur l’assemblage des nouveaux outils en adoptant la vision de Management Produit (Product Management) dans une démarche d’Asset-Based Consulting : Si l’on a vu ensemble que la production directe d’IA n’était pas accessible à la plupart des organisations (du fait de la taille des échantillons de données nécessaires à l’entraînement de l’IA), l’assemblage de briques unitaires tierces au sein d’un environnement de travail spécifiquement dédié à une expertise ressemble énormément à la construction d’une application. Autrement dit en faisant cela vous adoptez la démarche d’un éditeur de solution. Cette solution peut demeurer à usage interne, mais vous pouvez aussi décider de l’ouvrir partiellement à certains de vos clients ou partenaires, ou carrément entrevoir une commercialisation de la solution sous forme de licence. On parle dans ce cas d’Asset-Based Consulting et c’est une tendance de fond dans le monde du conseil. Et pour avancer correctement dans cette démarche vous allez devoir adopter une approche de Management Produit (Product Management). Il existe encore une fois de nombreuses ressources dans ce domaine, il faut clairement s’en inspirer, voire nommer en interne un Product Manager pour chaque solution concernée. Dans un précédent article j’avais d’ailleurs rapporté les propos d’Alain Staron qui faisait du Product Manager la cheville ouvrière de l’autodisruption dans l’entreprise. Je vous recommande d’ailleurs fortement la lecture de son livre  Auto-disruption – La transformation digitale des produits et services de l’entreprise. Où l’auteur nous met en garde : « L’intelligence artificielle est au XXIe siècle ce que l’imprimerie a été au XVe siècle, mais en beaucoup plus rapide ». Consultants, nous sommes prévenus.

Et si malgré tout vous deviez rester sceptique sur l’apport concret de l’IA dans votre activité quotidienne de consultant à l’aise dans ses tableurs Excel et ses présentations Powerpoint, jetez justement un coup d’œil du côté de Microsoft, inventeur de la suite Office, qui vient d’annoncer le rachat d’un des plus gros acteurs de l’IA (Nuance) pour 20 milliards de dollars. Soit la deuxième plus grosse acquisition de son histoire et à peine moins que le montant déboursé pour LinkedIn… Pour paraphraser Jon Snow, « AI is coming ».

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